Utile sur de nombreuses tâches, l’IA ne permet pas en revanche de répondre à des besoins plus complexes et urgents. C’est ce qu’Emmanuel Richard appelle l’intelligence situationnelle. Grâce à l’IA, cette intelligence situationnelle va redonner du sens à l’expérience client.
“L’IA va nous pousser à reconsidérer les circonstances où le contact humain est important”.
Quels bénéfices apporte l’intelligence artificielle aujourd’hui ?
Au préalable, c’est important de faire la distinction entre les robots et l’IA. L’IA est une science qui peut s’appliquer à différents environnements. Certes le robot en fait partie, mais n’est qu’une déclinaison. Avant que l’on parle beaucoup d’Intelligence Artificielle, il existait déjà des cas d’application tels que la Business Intelligence et l’analyse de données. Désormais, ce que je trouve vraiment intéressant et attirant dans l’IA, c’est le fait de pouvoir compter sur quelqu’un qui nous assiste. Dans le domaine de l’assistance, il y a un potentiel formidable dans la relation client dès lors qu’on reconnaît à l’IA la possibilité d’étendre la capacité d’un Homme, sans chercher à lui ressembler.
Comment l’IA devrait évoluer à l’avenir ?
Lorsqu’il s’agit de chatbots, je trouve qu’on n’est pas encore totalement dans l’IA dans le sens où l’humain doit faire la démarche d’aller vers le chatbot. D’ailleurs, aujourd’hui, pour des raisons de confidentialité, les utilisateurs de Google Home doivent toujours dire “Dis Google” avant de poser leur question. Cela apporte la garantie que la machine ne nous écoute pas en permanence. Si on décidait de retirer cette obligation, on aurait un appareil capable de converser spontanément. En matière d’expérience client, les consommateurs ont eu l’habitude de suivre des processus très guidés via des automates sur les sites web. Grâce à l’IA, on est en train de passer d’une autonomie encadrée à une autonomie libérée. Demain, l’idée serait de ne plus avoir besoin de chercher l’information : elle viendrait à nous au moment où l’on en a besoin. C’est vraiment là que la notion d’assistant personnel est intéressante. Néanmoins, les entreprises ont réfléchi à cette autonomie en pensant à leur propre intérêt. Aujourd’hui, finalement, on est davantage dans une recherche d’équilibre, car au-delà du produit et du prix, c’est la qualité du service qui va faire la différence.
“S’il existe des serveurs vocaux et des sites Internet, c’est pour l’économie du service client”
On parle aussi beaucoup de l’humain dans l’entreprise et de sa valeur ajoutée dans l’expérience client. Mais justement, quel sera son rôle demain face à l’assistance issue de l’IA ?
L’activité d’un conseiller s’appuie sur des gestes et des procédures prescrites. C’est certainement à ce niveau là qu’on devrait connaître une décroissance des effectifs, car le prescrit, on peut l’embarquer dans l’intelligence artificielle. En revanche, lorsque la demande présente un caractère d’urgence, il faut une personne disponible et capable d’apporter une solution. On parle alors d’intelligence situationnelle ; les conseillers seront capables d’apporter les arbitrages nécessaires par rapport au contexte et à la problématique. En fait, aujourd’hui, il y a un certain nombre de gestes dont on s’accommode, mais il y en a d’autres que l’on ne va pas abandonner. Le coiffeur par exemple, fait partie de ces moments sociaux – au-delà d’y aller pour se faire couper les cheveux – où l’on peut être dans l’échange et la confidence. Difficile d’imaginer demain ce service assuré par un robot. En fait, l’IA va nous pousser à reconsidérer les circonstances où le contact humain est important.
“En fait, l’IA va nous pousser à reconsidérer les circonstances où le contact humain est important”
Parce que les robots vont apporter de plus en plus de services, les demandes vont être beaucoup plus complexes et demander une responsabilisation plus grande auprès des agents…?
On ne peut pas arriver de façon naturelle à cette intelligence situationnelle ; il va donc falloir mettre en place des moyens pour y arriver. Certaines personnes sont très douées, mais elles fonctionnent avant tout sur l’intuition. En revanche, la grande majorité des collaborateurs ont besoin d’un cadre très prescrit. Ils ne sont pas tous égaux face à cette intelligence situationnelle. Est-ce que cela implique un nouveau mode de recrutement pour trouver le bon type de profil ou y a t-il possibilité de développer une instrumentation destinée à l’intelligence situationnelle ? Si on n’accompagne pas les agents, ils peuvent disparaître à terme. Il faut donc réfléchir aux clés nécessaires à l’humain pour maintenir et accroître sa différence vis-à-vis de l’IA. Mais aussi l’aider à vivre une situation qui n’a jamais été programmée et lui permettre de trouver la meilleure réponse de façon à toucher à la mémoire et aux émotions pendant l’expérience du client.
Concrètement, ça peut passer par quoi ?
Les contacts téléphoniques sont de plus en plus compliqués. Quand les clients appellent certaines marques aujourd’hui, c’est qu’ils sont vraiment insatisfaits. Par conséquent, les appels sont trop chargés d’émotion. Et demander à un agent de suivre un script ne fonctionne plus. En revanche, l’IA peut l’aider à trouver des cas de figure similaires ou approchants lui permettant de trouver la bonne posture et les bons éléments de langage pour répondre aux clients. A défaut de trouver l’information dans une base de connaissance, les conseillers vont pouvoir s’appuyer sur la mémoire collective, issue de la data, pour faire des choix.
Cette interview a été publiée dans le carnet d’expérience Diabolocom.